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EDITORIAL COMMUN DU FDLP La presse se dresse contre le monstre

Il arrive, dans la vie d’une nation, que les masques tombent et que les discours sur la démocratie se fracassent contre la brutalité des faits. Le Sénégal vit ce moment. L’État de droit vacille, la liberté de la presse chancelle, et la machine répressive, que l’on croyait endormie, tente de reprendre la main. Avec fracas, et une froide méthode.

Mardi 28 octobre, les forces de l’ordre ont fait irruption dans les locaux de la 7TV, interrompant une émission en direct. Sa directrice, Maïmouna Ndour Faye, a été arrêtée sans ménagement, sous le regard impuissant de ses collaborateurs et de milliers de téléspectateurs. Le lendemain, c’est Babacar Fall, directeur de la rédaction de RFM, qui a été interpellé avec ses techniciens. Il a été relâché tard dans la nuit. Mais le signal envoyé est glaçant. Plus personne n’est à l’abri.
Comme pour parachever l’intimidation, les signaux de la 7TV et de la TFM ont été suspendus sans justification. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), censé garantir la liberté et l’indépendance de l’information, s’est enfermé dans un silence assourdissant. Où sont passées les garanties procédurales, les droits de la défense, les principes mêmes de la légalité ?
Ces attaques surviennent alors que le secteur des médias traverse une crise économique d’une gravité sans précédent. Près de 400 entreprises au bord de la faillite, des arriérés de salaires atteignant parfois quatorze mois, des subventions publiques bloquées, des contrats publicitaires unilatéralement suspendus et des contrôles fiscaux démultipliés. L’objectif semble clair. Fragiliser pour mieux réduire au silence. Une presse à genoux économiquement est une presse plus facile à faire taire politiquement.
Mais cette fois, le coup de force a produit l’effet inverse. Face à l’arbitraire, la presse sénégalaise s’organise. Ce mercredi 29 octobre, dans les locaux du Groupe Futurs Médias, les organisations membres de la Coordination des Associations de Presse (CAP) ont décidé de créer le Front pour la Défense de la Liberté de la Presse (FDLP). Ce front, qui réunira toutes les organisations faitières et les personnalités du secteur, tiendra son Assemblée générale constitutive le samedi 1er novembre 2025, à la Maison de la Presse Babacar Touré. Ce sera un moment de la refondation d’une presse décidée à reprendre l’initiative et à défendre collectivement son indépendance.
À cette décision structurante s’ajoute une initiative symbolique forte, qui est l’opération “Anonymous”, prévue du 3 au 13 novembre 2025. Durant dix jours, nous sollicitons nos consoeurs et confrères, de ne citer ni montrer les autorités officielles dans leurs couvertures médiatiques. Les titres seront mentionnés, mais les noms et images occultés. Ce geste volontaire, pacifique et créatif, vise à rappeler que l’information n’est pas un instrument du pouvoir, mais un droit du citoyen.
Dans le même esprit, un sit-in a eu lieu ce jeudi devant les locaux de la 7TV, suivi d’un plateau spécial diffusé simultanément sur plusieurs chaînes nationales. Ces moments de communion professionnelle ont démontré que la presse sénégalaise sait faire bloc lorsque ses libertés sont menacées. Une marche nationale est également en préparation. Sa date sera rendue publique dans les prochains jours. L’objectif est de rassembler journalistes, techniciens, patrons de presse et citoyens autour d’une même cause. Celle de la défense de la liberté d’informer.
Car il ne s’agit pas seulement de défendre des confrères injustement arrêtés. Il s’agit de défendre un principe fondateur de toute démocratie : le droit de savoir. Sans presse libre, il n’y a ni débat contradictoire, ni responsabilité publique, ni démocratie réelle mais seulement une façade, un décor sans substance.
C’est pourquoi nous appelons solennellement toute la presse sénégalaise à dépasser les divisions, à refuser les querelles intestines et les calculs à courte vue. Les intérêts individuels ne peuvent justifier la compromission collective. Le temps n’est plus à la dispersion, mais à l’unité. Car ceux qui veulent faire taire la presse comptent sur nos fractures pour nous affaiblir. Nous leur opposerons un front uni, une solidarité sans faille.
Nous interpellons enfin les organisations de défense des droits humains (Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des journalistes, Reporters sans Frontières, Article 19) ainsi que la communauté internationale présente à Dakar pour le SIMA. Vous débattez de l’avenir des médias africains alors que, sous vos yeux, la liberté de la presse est bafouée. Votre silence serait incompréhensible et votre indifférence, une faute morale.
Le pouvoir dispose peut-être de la force, mais il n’a pas la légitimité. Cette légitimité appartient à celles et ceux qui défendent les libertés fondamentales, qui informent malgré la peur, qui refusent le silence des dictatures.
La presse sénégalaise a choisi de se lever. Elle n’a pas les armes, mais elle a la parole. Et tant que cette parole existera, la démocratie respirera.

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